Reportage

Plaidoyer pour l’efficacité des essais de méthodes anti-VIH pour les femmes

11 décembre 2008

20081210_women_200.jpg
Les femmes et les filles représentent la moitié des personnes vivant avec le VIH dans le monde.
Photo: ONUSIDA/P. Virot

Les femmes et les filles, qui représentent la moitié des personnes vivant avec le VIH, sont souvent sous-représentées dans les essais de méthodes biomédicales de prévention du VIH, en particulier dans ceux qui évaluent les nouveaux traitements ou stratégies médicamenteuses. Lorsqu’elles participent, elles sont en nombre trop insuffisant pour qu’on puisse en tirer des conclusions spécifiques. Malgré des différences biologiques entre hommes et femmes qui peuvent influencer le métabolisme des médicaments, les données de recherche ne sont pas ventilées, analysées et communiquées par sexe.

Il y a un an jour pour jour, une réunion prenait fin et marquait le début de l’initiative Femmes et essais de méthodes anti-VIH. Ce nouveau forum ouvrait un dialogue entre académiciens, scientifiques et preneurs de décisions sur les normes de recherche soutenant la relative invisibilité des femmes dans la conception, le déroulement et les rapports des essais cliniques. Cet événement était organisé par quatre partenaires, à savoir l’ONUSIDA, la Coalition mondiale sur les femmes et le sida, le Centre international de recherche sur les femmes (CIRF) et Tibotec.

Un an plus tard, on constate que cette initiative génère un certain intérêt au niveau mondial. « La plus grande réussite de l’année écoulée a été l’approche simultanée et sur plusieurs fronts de la question de la participation des femmes aux essais VIH », a déclaré Karen Manson de Tibotec, co-organisatrice de la première réunion.

« La réunion de Genève a catalysé de nombreuses actions et initiatives dont certaines étaient le fruit des groupes de travail créés pour la réunion et beaucoup d’autres le résultat indirect de la motivation de certains à faire avancer les choses partout où cela était possible. »

Un certain nombre de domaines stratégiques ont été identifiés pendant la consultation de 2007 puis formulés dans un plan d’action mis en œuvre autour des thèmes suivants : conception, mise en œuvre et suivi des résultats des essais.

Conception d’essais prenant compte la réalité féminine

Afin de dresser un tableau précis de la participation des femmes aux essais cliniques, l’une des activités menées au cours de ces douze derniers mois a consisté à évaluer les progrès réalisés depuis 2000 quant à la proportion des femmes associées à la phase finale des essais cliniques de méthodes anti-VIH. L’utilisation de la « carte de pointage » a permis de montrer que les essais financés par des fonds publics, tels ceux financés par l’Institut national de la santé aux Etats-Unis, associaient davantage de femmes que les essais financés par des fonds privés. L’engagement de l’Institut national de la santé à recourir à une représentation appropriée des femmes dans ses essais cliniques est conforme à la législation du pays relative à l’intégration des femmes et des minorités dans les essais financés par le gouvernement.

« Les avancées constatées aux Etats-Unis du fait de la Public Law revitalization act sont une vraie bonne nouvelle. Il nous reste cependant beaucoup à faire pour être en conformité avec ces normes en matière d’essais de traitement anti-VIH », a déclaré le Dr Sharon Walmsley, Professeur de médecine à l’Université de Toronto (Canada), qui a présenté les résultats de cet exercice à la Conférence internationale sur le sida (Mexique, août 2008).

Recrutement et maintien du nombre des participantes aux essais

Il peut s’avérer difficile de convaincre les femmes de participer à des essais cliniques. Lorsqu’elles le font, les recherches montrent qu’elles abandonnent rapidement, pour un certain nombre de raisons. Il est reconnu que la participation de groupes communautaires, y compris de groupes de femmes, à la conception d’essais et aux discussions relatives à la mise en œuvre peuvent améliorer leur participation sur toute la durée des essais. Parvenir à atteindre les lieux où les femmes peuvent se retrouver ou rendre les lieux où sont menés les essais plus accueillants pour les femmes, par exemple en offrant les services d’une garderie et des horaires souples, sont des façons d’attirer les participantes et de faire en sorte qu’elles participent à la totalité des essais.

Essais menés tout en répondant aux besoins des femmes

Les organisateurs d’essais ont des responsabilités éthiques envers les participants. La tenue d’essais cliniques peut en effet toucher la santé des sujets de recherche. Dans les essais cliniques de méthodes anti-VIH, il est obligatoire de fournir des services de santé spécifiques, tels que les mesures de prévention du VIH et l’accès à des traitements antirétroviraux lorsque cela est nécessaire. Pour les participantes, les services de santé offerts doivent aussi comprendre des services liés à la santé sexuelle et reproductive, y compris des frottis réguliers pour dépister le cancer du col de l’utérus et des dépistages réguliers d’infections sexuellement transmissibles.

« En définissant les services de santé sexuelle et reproductive qui seront fournis aux femmes lors des essais de méthodes anti-VIH, ceux qui parrainent ces essais ont la possibilité de bien faire et de faire du bien », déclare Anna Forbes, Directrice adjointe de la Campagne mondiale pour les microbicides.

20081210_woman_200.jpg
Les services de santé offerts doivent aussi comprendre des services liés à la santé sexuelle et reproductive
Photo: ONUSIDA/P. Virot
Mme Forbes, membre de l’initiative Femmes et essais de méthodes anti-VIH, travaille avec d’autres à l’élaboration d’orientations sur les éléments qui pourraient constituer un kit de santé sexuelle et reproductive normalisé pour les essais de méthodes anti-VIH. Elle a souligné l’importance de la fourniture de services acceptables en matière de contraception, de reproduction et de santé sexuelle – offerts sur place, lorsque cela est possible – afin de stimuler le recrutement des participants, de les faire rester pendant toute la durée des essais et de renforcer la solidité des essais en réduisant le plus possible le taux de grossesses non désirées.

« Utiliser les ressources mises en place pour l’essai en vue de construire un accès durable à ces soins après la période d’essai (par exemple en formant le personnel de santé publique local et en achetant du matériel qui peut être laissé sur place à l’usage de la communauté) contribue aussi au respect des responsabilités éthiques induites par les essais et à la réduction des disparités mondiales en matière d’accès aux soins de santé chaque fois que cela est possible, par le biais même des essais », affirme Mme Forbes.

Des essais prenant en compte la sexospécificité

L’initiative Femmes et essais de méthodes anti-VIH a donné lieu à des discussions sur le rôle des essais cliniques dans l’examen de facteurs sociaux tels que la sexospécificité, qui pourraient expliquer les différences des ripostes à une intervention en cours d’examen. Le centre international de recherche sur les femmes (CIRF) joue un rôle directeur dans la promotion d’une perspective sociale des essais.

Cet été, à la Conférence internationale sur le sida qui s’est déroulée au Mexique au cours de laquelle un certain nombre de réunions parallèles se sont tenues sur les « Femmes et [les] essais de méthodes anti-VIH », le CIRF a publié un document sur la difficulté de recruter des femmes pour des essais cliniques et de faire en sorte qu’elles participent à la totalité de l’essai.

Selon Geeta Rao Gupta, Présidente du CIRF et membre d’un groupe d’orientation pour l’initiative Femmes et essais de méthodes anti-VIH, « les essais cliniques offrent une opportunité unique de recueillir et de communiquer des données sociales et comportementales pouvant fournir un tableau plus complet de l’épidémie de VIH chez les hommes et chez les femmes.

Essais donnant des résultats montrant les différences entre hommes et femmes

Il existe un certain nombre de différences entre le fonctionnement du corps des hommes et celui des femmes. Par exemple, la masse corporelle, les cycles hormonaux et les taux de métabolisme sont différents. Cependant, quand les résultats d’essais sont publiés dans des revues scientifiques, ceux-ci n’apparaissent pas ventilés par sexe. Cela veut dire que nous demeurons aveugles en ce qui concerne les niveaux et les dosages de médicaments administrés chez les hommes et chez les femmes.

L’initiative Femmes et essais de méthodes anti-VIH vise à stimuler les personnes pour qu’elles aient un regard neuf sur les pratiques de recherche.

« Quand nous avons fait des exposés visant à éveiller les consciences et l’intérêt d’une large palette de partenaires, notamment les chercheurs, les groupes communautaires, les promoteurs nationaux de la recherche, les entreprises pharmaceutiques, les autorités internationales de réglementation et les rédacteurs en chef de revues médicales, nous avons noté qu’il existait un réel élément de surprise », note Catherine Hankins, Conseiller scientifique en chef à l’ONUSIDA et l’un des moteurs de cette initiative.

« Beaucoup nous ont dit qu’ils n’avaient jamais réfléchi à cette question auparavant et qu’ils n’imaginaient pas qu’on en sache si peu en matière de différences entre les réactions des hommes et celles des femmes aux médicaments, y compris aux médicaments anti-VIH. »

Pour lutter contre cela et mettre la pression sur les chercheurs pour qu’ils conçoivent des essais, sur les promoteurs pour qu’ils les financent, et sur les auteurs pour qu’ils en rendent compte, l’initiative Femmes et essais de méthodes anti-VIH propose une série de questions que les rédacteurs en chef de revues médicales et que les relecteurs devraient poser au moment d’évaluer les manuscrits d’essais. Il y a deux questions fondamentales :

  1. L’étude permet-elle de tirer des conclusions concernant les femmes ? En d’autres termes, le nombre de femmes ayant participé à cette étude est-il suffisant pour qu’une analyse statistique soit possible et pour que l’on puisse tirer des conclusions sur d’éventuelles différences entre hommes et femmes ?
  2. Les données ont-elles été recueillies, ventilées, analysées et communiquées par sexe ?

Le groupe CONSORT (Consolidated Standards of Reporting Trials), dont les lignes directrices sont une référence essentielle pour les auteurs cherchant des conseils sur la façon de rédiger les résultats de leurs essais avant publication, a récemment ajouté un lien sur son site Web vers la page Web de l’ONUSIDA sur les femmes et l'expérimentation d'interventions anti-VIH.

Prochaines étapes

Catherine Hankins considère que l’année écoulée a posé les fondations d’un plaidoyer continu par la mise en place d’un cadre d’action et l’élaboration de matériels de sensibilisation : rapport de réunion, brochure, carte de pointage, site Web.
« Nous avons créé un élan en matière de changement des normes de recherche pour que les femmes soient mieux représentées dans les essais cliniques de méthodes anti-VIH et que les communications de résultats sexospécifiques deviennent courantes », déclare-t-elle.
D’après Karen Manson, membre du comité directeur, l’une des prochaines étapes importantes pour l’initiative Femmes et essais de méthodes anti-VIH sera de montrer des résultats tangibles.

« Montrer que plus de femmes participent ou ont accès aux essais cliniques VIH sera essentiel pour rompre l’idée qu’il s’agit d’une barrière insurmontable. »

Catherine Hankins considère qu’une approche collaborative est la clé de voûte de la consolidation et de la réussite à long terme de cette initiative.
« Notre prochaine étape visera à poursuivre la construction d’un réseau de partenaires plaidant pour que les femmes et les adolescentes soient au centre des recherches cliniques sur le VIH. »
Par ce biais, un impact sur l’ensemble de l’épidémie est possible. En tant que Directrice de la Coalition mondiale sur les femmes et le sida, Kristan Schoultz affirme : « Si notre riposte au sida n’est pas efficace pour les femmes – et cela inclue notre riposte du point de vue des essais cliniques – elle ne va tout simplement pas être efficace du tout. »