Reportage

Gérer l’épidémie de COVID-19 au Cameroun

11 mai 2020

Entretien avec la directrice pays de l’ONUSIDA, Savina Ammassari 

Savina Ammassari est devenue directrice pays de l’ONUSIDA pour le Cameroun en 2018. Elle a travaillé auparavant pour l’ONUSIDA en Inde, au Myanmar et au Cambodge en tant que conseillère en informations stratégiques. Elle a soutenu des initiatives en faveur du développement durable, de l’égalité et des droits humains dans plus de 20 pays. 

Son expérience personnelle et professionnelle dans de nombreux pays et ses vastes connaissances linguistiques lui font penser qu’elle s’adapte facilement, mais la COVID-19 se révèle être une véritable épreuve pour elle. 

 

Savina, avez-vous eu l’impression que la COVID-19 était un tsunami qui avait mis le cap sur vous ? 

Oui, en effet, j’ai vu le tsunami s’approcher. J’ai suivi l’apparition de la COVID-19 en Chine, puis sa propagation rapide en Italie, mon pays d’origine, où l’épidémie a déjà fait plus de 24 000 victimes. J’étais bien consciente que de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, dont le Cameroun, seraient mal préparés pour affronter l’effet dévastateur de la COVID-19 sur les secteurs de la santé et de l’économie. Les systèmes de santé fragiles et la pauvreté endémique représentent des défis considérables pour les ripostes gouvernementales, communautaires et du système des Nations Unies à la pandémie. 

J’ai fait l’amère expérience dans ma famille des réalités de la crise enserrant le monde lorsque mon beau-frère, un chirurgien travaillant à Brescia dans l’épicentre de l’épidémie italienne, a développé des symptômes graves de la COVID-19 qui ont entraîné une pneumonie bilatérale. Heureusement, il a été branché sur un respirateur artificiel et a reçu des traitements expérimentaux, qui lui ont sauvé la vie. Mais je sais que ce ne sera pas le cas pour tout le monde, en particulier dans les pays disposant d’un système de santé moins solide. 

Le Cameroun est devenu l’épicentre de la COVID-19 en Afrique occidentale et centrale. Les premiers cas ont été détectés à l’aéroport de la capitale, Yaoundé. D’autres ont suivi très rapidement à Douala, la plus grande ville du pays. Malgré les mesures prises rapidement par le gouvernement pour isoler les cas initiaux, dépister et tracer les contacts, la transmission au sein de la communauté s’est emparée du pays. Il est difficile de connaître l’ampleur des transmissions à cause de l’accès limité aux services de test.   

La riposte du Cameroun est confrontée à des contraintes considérables, en particulier pour ce qui est d’élargir le dépistage et le traçage des contacts, de fournir des unités de soins intensifs/des respirateurs artificiels pour les personnes gravement atteintes, ainsi que des équipements de protection individuelle adaptés destinés au personnel médical. La mise en place rapide de programmes d’éducation des communautés mettant l’accent sur l’hygiène des mains et l’éloignement physique est une problématique actuelle, en particulier dans les zones urbaines pauvres et souvent surpeuplées.  

 

Quels ont été les préparatifs au Cameroun ? Au début, un sentiment d’optimisme régnait au Cameroun. On pensait que d’une manière ou d’une autre, l’Afrique, contrairement à d’autres régions, allait réussir à éviter les conséquences catastrophiques de la pandémie. Peu de personnes avaient conscience que la pandémie avait juste quelques semaines de retard avant d'atteindre le Cameroun. 

Aujourd’hui, le Cameroun est le pays le plus touché de la région et le deuxième d’Afrique subsaharienne. Il voit son taux d’infections augmenter rapidement. La rareté des kits de test masque toutefois très certainement le nombre réel d’infections. Le recensement des infections individuelles, des guérisons et des victimes ne permet pas de révéler la situation dans son intégralité. L’ONUSIDA a milité pour une modélisation de l’épidémie permettant de quantifier les besoins et l’approvisionnement en soins de santé. 

Lorsque les premiers cas de COVID-19 ont été détectés à Yaoundé, un groupe restreint de personnalités du secteur de la santé s’est rassemblé au ministère de la Santé pour discuter et planifier des mesures d’endiguement de l’épidémie et de minimisation de son impact. J’ai été invitée parmi d'autres représentant(e)s des Nations Unies du fait de l’expérience de l’Onusida dans la gestion des épidémies. J’ai souligné qu’il était nécessaire d'exploiter les systèmes existants et d’utiliser les efforts dirigés par des communautés au cours de la riposte nationale au sida. J’ai plaidé pour des investissements initiaux dans la communication et la mobilisation des communautés afin de prévenir les infections à la COVID-19, en utilisant une approche multisectorielle. 

Cette riposte multisectorielle a été mise en place en impliquant directement la coordonnatrice résidente des Nations Unies (CRNU) avec mon soutien. J’ai facilité les efforts de la CRNU pour établir des liens entre le ministère de la Santé et des partenaires de développement au cours de téléconférences hebdomadaires. Les partenaires, volontaires pour aider, manquaient d’informations sur les priorités immédiates.  

L’ONUSIDA a aidé le ministère de la Santé à modéliser l’épidémie de COVID-19 afin de mieux comprendre et quantifier les besoins. Pour cela, des téléconférences ont réuni des partenaires techniques et financiers. La démarche a permis de hiérarchiser les besoins et de quantifier et estimer le coût des fournitures et équipements nécessaires de toute urgence. Les partenaires volontaires pour soutenir cet effort, avaient toutefois besoin non seulement d’une stratégie nationale et modélisée de riposte à la COVID-19 avec une estimation des coûts, mais également d’un calendrier d’approvisionnement clair et précis reposant sur cette stratégie. Par ailleurs, l’ONUSIDA a plaidé avec succès pour la création d’un groupe d’information stratégique. Ses tâches consistent à analyser en détail les données de suivi, à modéliser l’épidémie, ainsi qu’à surveiller et à évaluer la riposte à la COVID-19.  

 

La communication est en effet cruciale. Mais comment gérer des problèmes fondamentaux comme l’absence d’eau courante dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne qui rend difficile la recommandation de se laver les mains. Comment la population gère-t-elle cela et d’autres mesures, comme l’éloignement physique ? 

C’est en effet un problème essentiel au Cameroun à cause de l’absence d’alimentation continue en eau dans de nombreuses communautés rurales et urbaines. Utiliser des solutions hydroalcooliques n’est pas une option envisageable pour la plupart des gens. Quant aux produits fabriqués localement, leur qualité et la sécurité de leur utilisation ne sont pas obligatoirement au rendez-vous. 

De même, l’éloignement physique et le confinement volontaire sont souvent des options peu viables et souvent irréalistes au sein de communautés où, d’une manière générale, un grand nombre de personnes partage des espaces communs à domicile et dans leur communauté. Le gouvernement a mis en place une batterie de mesures strictes pour endiguer la propagation de la COVID-19 (fermeture des écoles et établissements d’éducation ou de formation, interdiction de tous rassemblements, obligation de porter un masque dans les transports publics), mais un confinement généralisé n’a pas été promulgué jusqu’à présent. Il est légitime de se poser la question de l’impact qu’aurait un confinement total sur la majorité de la population, alors que 80 % des personnes travaillent dans le secteur informel et vivent au jour le jour. Mais, du point de vue de la santé publique, les confinements sont indispensables. L’un des défis consiste à jongler entre ces préoccupations. 

Savina, vous n’avez jamais eu peur des défis. D’après vous, s’agit-il du plus grand défi auquel vous avez été confrontée jusqu’à présent et pourquoi ? 

Oui, cette crise n’a pas son pareil dans l’histoire et elle est imprévisible. Je suis inquiète de la manière dont la pandémie de COVID-19 affectera non seulement notre équipe et nos proches, mais aussi les personnes vivant avec le VIH qui ont besoin d’obtenir sans interruption leur thérapie antirétrovirale et les services liés au virus, ainsi que les personnes qui sont déjà victimes de stigmatisations, qui sont vulnérables ou déjà marginalisées dans la société et dans l’économie. 

Nous constatons déjà une augmentation préoccupante de la stigmatisation et de la discrimination à l’encontre des membres de populations clés au Cameroun et nous assurons que l’équipe de pays des Nations Unies et les partenaires continuent d’accorder leur priorité aux problématiques liées aux droits humains dans leur stratégie.  

Notre travail est déjà difficile en temps normal parce que le Cameroun est confronté à des difficultés humanitaires et de développement énormes. L’attention internationale ne se porte déjà pas suffisamment sur les crises humanitaires qui touchent le Cameroun sur trois fronts. Il s’agit de la crise humanitaire la moins financée au monde. L’épidémie de la COVID-19 multiplie ces défis. 

L’ONUSIDA mobilise les communautés et les réseaux dans les travaux de prévention à la COVID-19 et s’assure que la société civile est suffisamment consultée et impliquée dans la riposte nationale au nouveau virus. 

 

Comment relâchez-vous la pression le soir ? Comment rechargez-vous vos batteries ? 

Je crains de ne pas accorder suffisamment de temps pour me détendre, car je travaille jour et nuit, ce qui n’est pas sain. Peut-être qu’un des défis posés par la COVID-19 est de trouver de nouveaux centres d’intérêt en dehors du travail qui peuvent perdurer et continuer à faire plaisir. 

 

Quels ont été les enseignements tirés ? Allez-vous faire certaines choses différemment à partir de maintenant ?  

J’ai réappris que l’union fait la force. Dans des situations d’urgence sans précédent comme aujourd’hui où personne n’a ni la réponse ni la formule magique, nous avons besoin des compétences et de l’expérience de chacune et de chacun. Mettre les acteurs en contact, fournir des ressources, garantir la transparence des échanges, voici la stratégie gagnante. Cela nécessite un leadership fort et une cohésion de l’équipe dans l'effort.